Vérités sur la retraite des fonctionnaires

Publié le par prépo

Article paru le 27 avril 2010 dans l'humanité.

 

Refusant d’augmenter 
les financements des retraites, 
le gouvernement aimerait économiser 
sur le régime 
des fonctionnaires en l’alignant sur le privé. Il peine à les faire passer pour des privilégiés.

 

Sans encore rien dévoiler de leurs intentions, Éric Woerth, ministre du Travail, et Georges Tron, secrétaire d’État à la Fonction publique, terminaient, hier, leur « consultation » des syndicats de fonctionnaires. « Je ne serai pas le président qui fait la réforme des retraites pour le privé et pas pour le public », avait affirmé Nicolas Sarkozy à Laon, dans l’Aisne, début mars, ouvrant la voie à un alignement du régime de retraite de la fonction publique sur le régime général. Il semble pourtant qu’après les roulements d’épaule de matamore, le gouvernement soit contraint à un peu plus de réalisme. Sans doute n’a-t-il pas totalement abandonné son projet. Mais des obstacles à un alignement ou à une convergence des régimes semblent très difficilement surmontables. À commencer par l’opposition frontale de l’ensemble des syndicats à toute régression du régime et à une réforme du mode de calcul des pensions. Pour Élisabeth David, responsable de l’Unsa fonction publique, remettre en cause le mode de calcul des fonctionnaires est « inconcevable ». Pour Bernadette Groison, de la FSU, « la question ne se discuterait même pas ». « Modifier le paramètre des “six mois” de cotisation n’a aucun sens si cela conduit à réduire le niveau de retraite de la plupart des fonctionnaires », assure Jean-Louis Malys, le Monsieur retraite de la CFDT. « Ce que nous voulons, affirme de son côté Bernard Thibault, pour la CGT, c’est parvenir à des niveaux de retraites comparables quels que soient les modes de calcul qu’on utilise dans l’un ou l’autre des régimes. » Beaucoup dépendra donc de la mobilisation des salariés et le 1er Mai devrait être un test à cet égard. Éric Woerth affirme qu’il examinera la question dans « un souci d’équité ». Alors quelles différences, loin des caricatures, entre les régimes de retraite de la fonction publique et du privé  ? Ces différences font-elles des fonctionnaires d’indécents privilégiés  ? Et quelles seraient les conséquences d’un alignement du régime du public sur celui du privé  ?

Olivier Mayer

1. Vingt-cinq meilleures années dans le privé, six derniers mois pour le public

Pour le calcul du montant de la pension, les vingt cinq meilleures années de salaire servent de référence pour les salariés du privé. Dans le public, ce sont les six derniers mois de salaire. Une réforme « équitable » devrait-elle viser à aligner le calcul du montant des retraites sur le privé ?

Une réponse simpliste oublie que ce sont les réformes Balladur et Fillon qui ont creusé les inégalités entre les différents régimes. Avant la réforme Balladur, les retraites dans le régime général étaient calculées sur le salaire des dix meilleures années. La réforme Fillon de 2003 a introduit, pour le privé comme pour le public, le système de décote en cas de carrière incomplète. Les régimes aux règles différentes assuraient avant ces réformes aux salariés du public et du privé des droits très comparables. Pour une carrière complète, le taux de remplacement, c’est-à-dire le rapport entre le montant de la pension et celui du dernier salaire, était en moyenne de 84 % pour les salariés du privé et de 77 % pour les fonctionnaires. Les réformes Balladur et Fillon ont bousculé ces équilibres en tirant les droits et le montant des pensions, plus particulièrement ceux du privé, vers le bas.

Il faut, de plus, tenir compte des différences qui existent dans le déroulement des carrières. Dans le privé, ce ne sont pas toujours les dernières années qui sont les plus favorables aux salariés, contrairement au public. Les carrières dans le public sont souvent marquées par de longues périodes de stagnation. Les changements se font sur la base de réussite au concours.

Enfin, il faut prendre en considération que, pour le calcul du montant des pensions de fonctionnaires, les primes ne sont pas prises en compte. Directeur des services des retraites de l’État, Jean-Yves Raude expliquait en mars dernier devant la Commission des affaires sociales du Sénat que « la part des primes dans la rémunération des fonctionnaires est aujourd’hui connue de manière assez précise et atteint 23 % en moyenne ». Les écarts sont importants car ces primes représentent 7 % en moyenne chez les enseignants et 40 % ou plus pour les cadres de certains ministères. Pour aligner le régime public sur le privé, il faudrait intégrer les primes dans le calcul des retraites.

2. Un taux de liquidation de 50 % dans le privé et de 75 % dans le public

Les tenants de l’alignement des retraites du public sur celles du privé arguent que le taux de liquidation pour une carrière complète de fonctionnaire est de 75 %. Cela veut dire que le montant de la pension est égal à 75 % du montant de la moyenne des salaires des six derniers mois. Ce taux est de 50 % pour la retraite de base dans le privé. Mais avancer simplement ces deux taux, c’est oublier que les salariés du privé bénéficient, en plus de leur retraite de base, d’une retraite complémentaire (l’Arrco et l’Agirc), dont ne bénéficient pas les fonctionnaires. On voit bien qu’on compare là deux éléments très différents.

3. La vérité sur le montant des retraites

Selon l’Insee, en 2004, le montant moyen des pensions de retraite s’élevait en France à 1 288 euros mensuels. Il était de 1 065 euros pour les salariés du privé. Pour l’ensemble des fonctionnaires, il représentait 1 689 euros. Encore faut-il préciser que ce montant était de 1 210 euros pour la fonction publique territoriale et hospitalière. Pour la fonction publique d’État, le montant était de 1 748 euros. Plus que les avantages du régime de retraite des fonctionnaires, cette inégalité s’explique par les différences de qualification : plus de 50 % des fonctionnaires d’État sont des cadres (parmi eux les 800 000 enseignants), tandis que dans le privé, les cadres représentent 16 % des salariés. L’Insee a simulé ce qu’aurait été le montant des pensions des fonctionnaires liquidant leur pension entre 2003 et 2013 si on leur avait appliqué les règles de calcul des retraites du secteur privé. Selon les hypothèses techniques retenues pour cet exercice, le changement de règle conduirait à diminuer la retraite de l’ordre de 10 % ou 20 % en moyenne. Celle-ci augmenterait néanmoins pour 12 % à 25 % des fonctionnaires, ceux qui ont un taux élevé de primes. Aligner le public sur le privé, c’est baisser les pensions de la majorité des fonctionnaires.

4. La vérité sur le taux de remplacement

L’étude des taux de remplacement, c’est-à-dire le rapport entre le montant de la première pension de retraite touchée et le montant du dernier salaire perçu, ne suffit pas à comparer les mérites des régimes de retraite entre le privé et le public. Ils sont cependant un élément à prendre en considération parmi d’autres. Selon l’OFCE (voir tableau), le taux de remplacement pour un salarié non cadre du secteur privé est de 75,5 %. Il est de 60,3 % pour un cadre du privé. Dans le public, il est de 83,3 % pour un fonctionnaire sans prime, de 68,9 % pour un fonctionnaire avec 20 % de prime (la moyenne dans la fonction publique est de 23 % de prime) et de 58,8 % si les primes représentent 40 % du salaire. Pour Henri Sterdyniak, économiste à l’OFCE, « au final, les taux de remplacement, c’est-à-dire les niveaux des pensions en pourcentage du dernier salaire, ne sont pas très différents, à niveau de revenus comparables. Dans les deux cas, le taux de remplacement est élevé pour les bas salaires et moins important pour les hauts revenus ». « Un fonctionnaire né en 1948, dont la prime représente 40 % du salaire, touchera une pension équivalente à environ 59 % de son dernier traitement, explique-t-il dans les Échos. Un cadre du privé né la même année, qui termine sa carrière à deux fois le plafond de la Sécurité sociale (5 800 euros par mois), touchera 60 %. »

5. La vérité sur la cotisation salariée et la contribution employeur

Alors que les employés du privé reversent 10,55 % de leur salaire brut au régime des retraites, le taux de cotisation des fonctionnaires n’est que de 7,85 %.

On avance surtout que l’État employeur cotise à hauteur de 55,7 %, alors que le taux est de 15,6 % pour l’employeur privé. On compare, là encore, des choses différentes. Le taux de cotisation de l’État employeur correspond en fait à une contribution d’équilibre, alors que l’équilibre n’est pas assuré pour les autres régimes. « Une comparaison directe des taux de cotisation n’est pas pertinente, explique le rapport du COR. Elle l’est d’autant moins que le périmètre des charges financées par les cotisations diffère selon les régimes. Par exemple, contrairement aux régimes de retraite du secteur privé, les régimes de la fonction publique couvrent le risque d’invalidité avant l’âge de soixante ans. » De plus, dans la plupart des régimes du privé, les charges de retraite sont financées en partie par des recettes complémentaires telles que les apports du fonds de solidarité vieillesse. Selon le COR, en corrigeant ces différences, « des écarts entre les taux de cotisation des différents régimes subsistent, mais les taux se rapprochent : environ 30 % pour les régimes des salariés du privé, 46 % pour celui des fonctionnaires d’État (sous la contrainte d’équilibre du régime) et 25 % pour la fonction publique territoriale et hospitalière »

6. Durée de cotisation, âge de départ et pénibilité

La réforme Fillon a aligné la durée de cotisation et l’âge de départ à la retraite dans les régimes du public et du privé. Reste des différences. Elles concernent d’abord le droit à la retraite pour pénibilité. Dans le public, pour les fonctionnaires en « service actif » qui exercent des emplois présentant des « risques particuliers » ou des « fatigues exceptionnelles », l’ouverture des droits se fait à cinquante-cinq ans. Pour certains corps de métier, les fonctionnaires « en service actif » bénéficient d’un droit à la retraite à partir de cinquante ans. C’est le cas des policiers, des surveillants pénitentiaires… Aucun dispositif de ce type n’existe dans le privé. « Quand vous soulevez 10 kilos de ciment, est-ce que ça pèse plus lourd quand on est dans le public ou quand on est dans le privé ? » demande Éric Woerth. Les syndicats seraient d’accord qui demandent, dans le privé, un droit au départ anticipé pour les salariés ayant exercé des métiers pénibles. En la matière, il faudrait plutôt aligner le privé sur le public.

OLIVIER MAYER

Publié dans actualité

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